Lorsque j’ai acheté la seconde version du MacBook Air, j’ai acheté en même temps une polyméagachié d’adaptateurs qui m’ont couté un rein, et dans les faits, je ne me suis servi que de l’adapteur VGA lors de mes conférences, et je l’utilise encore avec mon MacBook Pro actuel (donc autant dire qu’en six ans, il est largement rentabilisé).

Les autres adapteurs sont restés au fond de mon sac, à part l’adaptateur Ethernet que j’ai utilisé très occasionnellement lorsque j’étais en présence d’un réseau Wi-Fi de qualité déplorable et lorsque l’alternative filaire était disponible, donc dans un contexte qui est largement plus l’exception que la règle.

En investissant dans ces adaptateurs, j’ai donc anticipé des besoins totalement imaginaires, car j’ai oublié que notre société évolue en fonction de nos besoins.

Nos pratiques et nos infrastructures s’adaptent en effet en permanence à nos façons de vivre et de travailler, parfois sans que l’on s’en rende compte, parfois dans la douleur.

Il y a 5 ans, les Wi-Fi ouverts étaient loin d’être aussi répandus qu’aujourd’hui.

Il y a 10 ans, avoir Internet dans sa poche et pouvoir s’y connecter sans aucun câble dans le train n’était même pas un rêve dans la tête des geeks.

Il y a 15 ans, les clefs USB étaient l’exception plutôt que la règle et le Bluetooth n’existait pas.

Il y a 20 ans, avoir 128 Mo de RAM ou disposer d’un ordinateur (trans) portable avec une autonomie de plus de deux heures était inconcevable.

Il y a 30 ans, 80 Mo de stockage de masse représentait le nirvana, et personne ne pensait pouvoir avoir son ordinateur partout et en permanence avec lui.

Il y a 40 ans, l’idée d’Internet même n’existait pas, et je ne parle même pas des disques externes, du HDMI, du Thunderbolt ou des cartes SD.

Alors, je sais que je ne suis pas représentatif de l’ensemble des utilisateurs de MacBook Pro, ce que la plupart des mécontents ont d’ailleurs souvent tendance à oublier, mais par contre, je sais que nous allons évoluer, et que nous allons le faire dans le sens ou nous pousse Apple, car c’est naturel.

Les choses naissent, vivent, évoluent, puis meurent, et sont remplacées par d’autres, plus efficaces, plus pratiques, plus efficientes, plus écologiques, plus simples, plus esthétiques, plus… bref, vous avez compris.

Mais pour Apple, nous évoluons trop lentement.

La toute première motivation de Steve a toujours été une volonté réelle de faire de grandes choses pour l’humanité, et cette philosophie reste à la fois notre idéal et notre objectif dans notre façon d’appréhender l’avenir pour Apple
— Johnny Ive

Pour pouvoir aller dans la direction où elle le souhaite, pour pouvoir « rendre le monde meilleur », elle a besoin que le port Jack disparaisse et que le port de demain, à savoir l’USB-C, soit le port d’aujourd’hui le plus rapidement possible.

Alors elle pousse, fort, très fort, avec toute la puissance de sa marque, pour entrainer dans son sillage l’ensemble de l’industrie, pour que sa vision devienne de fait celle de tous les acteurs technologiques, pour le pire et pour le meilleur.

En conséquence, si Apple vend très cher ses adaptateurs, peut-être n’est-ce pas (uniquement) pour augmenter ses bénéfices, mais pour nous dissuader de les acheter et ainsi obliger l’industrie et ses clients à s’adapter plus vite.

Et si Apple vend sa rallonge pour câble d’alimentation 25 €, peut-être n’est-ce pas (uniquement) pour augmenter ses bénéfices et parce qu’elle dispose aujourd’hui de la technologie permettant à ses ordinateurs de passer la journée loin d’une prise électrique, mais pour réduire de quelques centaines de grammes le poids de chaque boite et réduire d’autant l’impact écologique du transport (à la vue du volume des ventes, cela représente quelques milliers de tonnes par an qui ne sont pas à transporter).

Aujourd’hui, plus aucun ordinateur n’est vendu avec un lecteur de disquette, tous les téléphones tactiles sont un pastiche des concepts de l’iPhone, les clefs USB font 1 To, et les constructeurs de PC font leur possible pour que leurs produits ressemblent le plus possible aux produits Apple, à tel point qu’il devient parfois difficile de faire la différence entre leurs produits et leur marketing et ce que fait Apple.

Et la marque à la pomme sait très bien qu’elle a cet impact sur l’industrie informatique en général, tout comme elle sait très bien qu’elle représente des millions d’utilisateurs de par le monde.

Et je pense qu’elle se sert de ce levier colossal pour accélérer l’évolution du marché, pour pouvoir atteindre son objectif plus rapidement.

Cette stratégie qui consiste à faire les choix qu’elle pense indispensables pour atteindre ses objectifs le plus rapidement possible n’est pas nouvelle.

Elle faisait partie intégrante de son ADN lorsque Steve était aux commandes, lorsqu’il ne l’a plus été, lorsqu’il y est revenu, et cela y est encore aujourd’hui malgré sa disparition.

Pour autant, est-ce que la communication d’Apple est bonne ? Le fait qu’elle a jugé nécessaire de faire une ristourne (à mon sens une chose inédite dans les annales) sur ses adaptateurs jusqu’en janvier, ainsi que les différentes interviews données dernièrement par ses cadres pour éteindre l’incendie, me font penser que la réponse est négative et qu’elle en a bien conscience.

Est-ce le bon moment ? Si la technologie est suffisamment mature et qu’elle est en mesure de répondre correctement à 80 % des besoins, alors il fallait le faire dès maintenant, quitte à frustrer les 20 % de la clientèle qui n’y trouveront pas leur compte dans l’immédiat, d’autant qu’Apple a les moyens financiers nécessaires pour encaisser sans souffrir ce désamour.

Attendre, c’est prendre le risque de se faire doubler par la concurrence, et puis, combien de temps aurait-il fallu attendre ? Bien malin qui peut répondre à cette question…

Apple a-t-elle raison de faire cela ? L’avenir répondra à cette question, et si d’aventure le marché n’évolue pas dans la direction voulue par Apple, il ne faudra surtout pas oublier que la seconde version du MacBook Air a prouvé qu’elle est capable de pivoter très rapidement pour améliorer ses produits.

Apple fait-elle payer cette évolution à marche forcée trop cher ? Il est difficile de répondre à cette question, d’autant que la nouvelle gamme embarque la Touch Bar, au coût (et à l’intérêt) difficile à estimer.

Le problème financier est à mon avis en grande partie induit par le fait que le produit oblige à la fois l’acheteur à débourser une somme rondelette et à faire l’effort de modifier ses habitudes.

Le prix est donc la goutte d’eau qui fait déborder le vase, surtout en ajoutant dans l’équation le prix des adaptateurs permettant de conserver les bonnes vieilles habitudes.

Alors, Apple est-elle arrogante en faisant cela ? Cela pourrait très (trop) facilement être perçu de cette façon, et la politique tarifaire conjuguée au bruit des mécontents rend le raccourci d’autant plus facile, mais je pense que ce n’est pas pour rien que la notion de courage a été évoquée durant une interview.

Apple pourrait très bien rester dans sa zone de confort, et se contenter d’itérer sur la gamme précédente en ajoutant des ports USB-C, un capteur TouchID, proposer jusqu’à 1 To de RAM, des processeurs plus puissants ainsi qu’une résolution d’écran supérieure tout en remaniant son design à volume constant, en déplaçant les haut-parleurs, en changeant le clavier et en augmentant la taille du trackpad.

Après tout, la quasi-totalité des fabricants d’ordinateurs présents sur le marché fait cela, même si certains prennent parfois le risque de lancer sur le marché une démonstration technologique camouflée parmi une gamme de produits fondamentalement classiques pour démontrer qu’ils savent faire aussi bien qu’Apple, voir même mieux.

Sauf qu’Apple a eu le courage d’être disruptive en proposant de manière très visible pour l’ensemble de sa gamme d’ordinateurs portables quelque chose d’inédit sur le marché, en prenant le risque de décevoir ou de mécontenter une frange potentiellement significative de sa clientèle habituelle.

En clair, Apple a eu le courage d’innover.