Pour bien comprendre mon point de vue sur cette épineuse question, il est nécessaire de bien comprendre le fonctionnement de la solution utilisée par Free.

Et elle est très simple, puisque ses techniciens ont tout simplement mis en place un serveur DNS menteur au sein du système d’exploitation de la Freebox.

Ainsi, si le navigateur de l’utilisateur demande une publicité, ce DNS répond que cette dernière est disponible via une adresse IP correspondant à un serveur HTTP spécifique au lieu de celle correspondant à celui de la régie publicitaire.

C’est donc ce serveur HTTP qui répond sous la forme d’une page blanche à la place de la régie publicitaire au navigateur de l’utilisateur et fait donc disparaître la publicité des pages qu’il visite.

À première vue, Free porte donc bien atteinte à la neutralité du réseau puisque le Frinitel, grâce à son DNS menteur, retourne des données qui ne correspondent pas à la réalité.

Cependant, à y regarder de plus près, seul l’utilisateur du Frinitel est impacté et uniquement sur son réseau domestique puisqu’aucun autre utilisateur d’Internet n’utilise son DNS menteur pour résoudre des noms de domaine.

En clair, le DNS menteur du Frinitel ne fait pas partie d’Internet mais du réseau domestique qu’il raccorde à Internet et en conséquence, si Free porte atteinte à la neutralité d’un réseau, c’est à celui de son client et non à Internet.

De plus, Free n’a pas porté atteinte au libre arbitre de son client puisque ce dernier peut tout à fait désactiver ce DNS menteur, voir même utiliser un autre serveur DNS.

Nous avons donc affaire à un service qui techniquement n’a d’impact que sur le réseau domestique auquel il est relié et que l’utilisateur dudit réseau domestique est libre de désactiver à sa convenance.

Il y a eu largement pire comme atteinte à la neutralité du réseau et du coup, il est légitime de s’interroger sur la raison qui pousse tout un tas de gens, y compris le gouvernement, à dire que Free l’a violée.

Et pour répondre à cette question, il suffit de rechercher ceux qui ont été impactés par l’initiative de Free, à savoir tous ceux qui, à plus ou moins grande échelle, vivent de la publicité.

Du jour au lendemain, à cause d’une simple mise à jour d’un logiciel, ces derniers ont pris conscience que leur source de revenus n’était pas fiable, car il ne la contrôlait pas.

La seule solution pour tous ces gens est donc de faire en sorte que légalement, Free ou toute autre entité disposant des moyens techniques nécessaires ne puissent pas à nouveau faire la même chose.

Et pour cela, la meilleure solution est de faire peur, de diaboliser, en brandissant l’épouvantail d’une atteinte inacceptable à la neutralité du Réseau, quand bien même ce serait techniquement un mensonge.

Il est vrai que pour la plupart des acteurs économiquement concernés, c’est une solution beaucoup plus simple et rapide que de chercher un modèle économique plus fiable, ou bien, soyons totalement fou, novateur, pour financer leur activité.

Cependant, d’un point de vue cette fois éthique et non technique, je ne cautionne pas plus l’initiative de Free que celles des victimes de son initiative.

En effet, même si tous les acteurs de l’informatique introduisent régulièrement dans le code de leur logiciel de nouveaux paramètres avec des valeurs par défaut définies unilatéralement et bien souvent à leur avantage, la société de Xavier Niel essaye avec son blocage de la publicité de gagner sur tous les tableaux.

En effet, elle a gagné ses parts de marché en proposant à ses clients une offre ultra-compétitive en terme de rapport qualité/prix.

Sauf qu’aujourd’hui, pour faire suite à l’explosion de la demande en terme de bande passante causé par l’évolution des services offerts par Internet et à son nombre croissant de clients, son infrastructure technique est à la peine et devrait évoluer pour suivre le rythme, ce qui demande des investissements massifs au niveau de son réseau.

Or, Free investit déjà massivement dans son réseau de téléphonie mobile et certainement énormément dans la recherche et le développement.

De plus, il est très possible que les investissements nécessaires ne soient pas suffisamment rentables à court ou moyen terme aux yeux des actionnaires.

Évidemment, pour résoudre techniquement son problème dans un premier temps, elle pourrait proposer des forfaits en bande passante identique à ceux que l’on rencontre dans l’univers du mobile, ou bien proposer l’accès à certains services dans des conditions optimales sous forme d’options payantes.

Cependant, je pense que le marché n’est prêt ni à l’un ni à l’autre, et pour le coup, la seconde option porterait réellement atteinte à la neutralité du réseau, sans compter que ce ne serait qu’une solution à court terme.

En effet, il n’y a aucune raison pour que la demande en bande passante décroisse et Free devra donc de toute façon à un moment ou un autre investir pour disposer de l’infrastructure technique nécessaire à la fourniture d’un service de qualité correcte.

Et puis, surtout, il y a une bien meilleure stratégie pour financer cela, à savoir faire payer l’utilisation de son réseau non seulement à ses clients mais également à ceux qui l’approvisionnent massivement en contenus gourmands en bande passante.

Ainsi, Free deviendrait un intermédiaire entre les consommateurs, à savoir ses clients tels que vous, moi ou madame Michu du coin de la rue, et les distributeurs tels que Youtube et consorts.

Bref, Free cherche à être un hypermarché de l’Internet.

Et tout le monde sait très bien qu’un hypermarché est un acteur économique équitable qui rétribue honnêtement ses fournisseurs et qui ne cherche en aucune manière à entuber ses clients… non ?

Et là où les choses deviennent franchement amusantes, c’est que si Free parvient à atteindre son objectif avec Youtube, par exemple, elle se fera payer une première fois par ses clients pour qu’ils puissent accéder à son réseau et une seconde fois par Youtube pour lui permettre de diffuser sur son réseau les contenus que ses clients auront eux-mêmes mis en ligne.