Si vous remplissez ces deux conditions, vous pouvez alors relever le challenge représenté par 42 jeux en ligne ayant pour but d’effectuer une première sélection.

Et si vous y parvenez avec succès, vous pourrez alors passer la seconde épreuve connue sous le nom de « Piscine » et qui consiste à coder 15 heures par jour au sein de l’école pendant 1 mois afin de remporter les différents défis proposés par l’équipe d’encadrement composée de 42 personnes aux compétences reconnues.

Si vous ne vous noyez pas, vous pourrez alors intégrer un cursus de trois ans destinés à faire de vous des techniciens hors pair capables de compter en base hexadécimale plus vite que R2D2 grâce à la réalisation de projets divers et variés, cursus que vous pourrez ensuite éventuellement compléter par une spécialisation sur deux ans en « expertise industrielle » ou en « entrepreneuriat de l’innovation ».

Pour parvenir à cela, les moyens techniques et humains de l’école seront accessibles en permanence et la coopération entre étudiants sera très fortement encouragée, ainsi que l’autonomie et l’innovation, le but étant de vous transformer en un outil productif parfait pour les entreprises.

Faut-il se réjouir de tout cela ?

J’avoue être partagé.

Je partage l’avis de Xavier Niel sur le fait que l’Université est loin d’être la panacée en ce qui concerne l’apprentissage de l’informatique et qu’il est certainement possible de faire beaucoup mieux, notamment en faculté.

Je partage également son avis sur le fait que le ticket d’entrée aussi bien technique que financier peut être un réel problème susceptible de faire avorter des vocations.

Mais je ne suis pas certain de la pertinence de sa solution pour plusieurs raisons.

En effet, une fois que l’on a retiré l’habillage marketing qui enrobe son annonce, on se retrouve ni plus ni moins que devant une version gratuite de l’Epitech, une école privée et payante fondée par… l’un des pères fondateurs de 42.

L’aspect novateur de la pédagogie de cette école est donc à relativiser fortement d’autant que le modèle de cette école privée n’est pas si éloigné que cela de celui que j’ai connu durant ma formation en IUT, même si je n’avais pas « piscine ».

À contrario, la gratuité et la sélection à l’aide d’épreuves pratiques et non sur dossier sont une réelle innovation que je me dois de saluer.

Cependant, je ne suis pas certain que cela suffise pour former 1000 développeurs d’élite par an.

Ainsi, je connais beaucoup d’anciens de l’Epitech et si certains sont très compétents, la plupart ne sont pas exceptionnels techniquement parlant et il y a même quelques belles tanches dans le lot.

Il n’est donc pas suffisant de mettre des œufs dans une piscine et d’attendre quelques mois pour n’y pêcher que des saumons.

Et comme je peux dire la même chose à propos de mes connaissances ayant usé leur fond de culotte sur les bancs de l’IUT ou de la Faculté, je peux également dire que comme toutes les autres écoles, 42 produira aussi bien des « bons » que des « mauvais » malgré son processus de sélection particulier et son modèle pédagogique un peu plus original que la moyenne.

Le nombre de « déchets » devrait cependant être un peu moins élevé du fait qu’elle attirera majoritairement des passionnées, car le point commun entre tous les développeurs compétents que je connais est la passion qui les anime (même si je connais aussi de mauvais passionnés).

Pour eux, le code est un processus créatif et artistique qui se doit d’être beau à tout point de vue et surtout, ils prennent énormément de plaisir à l’écrire.

Cependant, je ne peux m’empêcher de tiquer lorsque je lis qu’une société a fait une offre d’emploi ferme à 45 000 € annuel à l’ensemble de la première promotion qui sortira de 42 dans trois ans.

Car outre le fait que je trouve incompréhensible de faire une telle offre sans rien savoir de ces futurs voyageurs galactiques, parmi tous les développeurs compétents que je connais, bien peu atteignent ce niveau de rémunération malgré leur savoir-faire et leur expérience.

Je me dis donc finalement que le problème du développement en France n’est pas tant la formation que la rémunération ainsi qu’un état d’esprit général qui dit que si un développeur ne devient pas « chef de projet » dans les 5 ans suivant sa sortie de l’école, il a raté sa vie.

Or, cet état d’esprit est instillé aussi bien par les SSII que par les écoles, et 42 ne fait pas exception, le métier de « chef de projet » figurant en première place parmi ceux auxquels peut prétendre un étudiant à la fin de son cursus.

Entre une rémunération bien souvent en inadéquation avec les compétences requises et une image sociale à connotation fortement négative, il faut donc en vouloir pour être développeur en France actuellement et 42 n’apporte aucune solution à ces deux problèmes.

De plus, les valeurs de productivité, d’efficacité, de rentabilité économique immédiate et de compétition que semble vouloir véhiculer cette école me semblent discutables ou à tout le moins, je ne m’y reconnais pas, et d’ailleurs je ne semble pas être le seul dans ce cas.

Et outre ce problème purement philosophique, cette école me pose également un problème purement technique.

La qualité logicielle n’apparaît en effet dans son programme qu’à partir de la troisième année, via l’étude des normes ISO et AFNOR.

Cela signifie donc que les étudiants vont apprendre à remplir des dossiers et vont être, je cite le programme, « sensibilisés aux problématiques qualité présentes en entreprise lors du développement d’applications ».

Il n’y a donc absolument rien au programme de 42 relatif à la mise en œuvre technique de la qualité logicielle, à tel point que le mot « test » n’y figure même pas.

L’agilité y figure bien, mais même si des pratiques agiles telles que XP mettent les tests à l’honneur, ces pratiques ne permettent pas d’appréhender techniquement la création de tests unitaires ou fonctionnels, pour ne parler que d’eux.

Or, coder, c’est tester, et tester, c’est coder.

Certes, il est très possible de se passer des tests pour développer, mais pour autant, les tests sont aujourd’hui le seul moyen permettant de valider rapidement et relativement efficacement un développement tout en facilitant sa maintenance à moyen ou long terme.

J’ai donc énormément de mal à comprendre comment une école dont le but avoué est de former l’élite des développeurs français peut se contenter de sensibiliser ses étudiants à la notion de qualité sans mettre les tests à l’honneur et cela dès la première année, d’autant que des techniques comme le TDD permettent, entre autres choses, d’appréhender très efficacement la programmation orientée objet.

Je me suis donc posé la question suivante : si 42 avait existé à l’époque de mes 18 ans, est-ce que j’y aurais postulé ?

Honnêtement, je pense que j’aurais tenté le coup, même si je déteste Paris, car 42 est encore une école parisienne.

Ses fondateurs n’ont en effet malheureusement pas innové suffisamment en allant s’implanter en province alors que tout y est pourtant plus simple et moins onéreux à tout point de vue.

Mais si l’adolescent de 18 ans aurait tenté l’aventure avec enthousiasme, le développeur que je suis maintenant reste cependant très réservé à propos de cette école.

Car si elle innove d’une manière intéressante de par sa gratuité, son processus de sélection et une manière d’enseigner un peu différente, elle reste fondamentalement une école traditionnelle qui n’enseigne pas l’aspect technique de la qualité logicielle.

Si « 42 » est la Réponse, alors la question n’est pas « Comment révolutionner totalement l’apprentissage du développement informatique en France ».

Pour cela, il aurait fallu proposer un programme organisé d'une tout autre manière et axé avant tout sur la qualité, ainsi que peut être des valeurs plus humanistes !