Dans la plupart des cas, le refus n’est pas accepté et le demandeur met alors la pression afin que sa demande soit acceptée.
Cette pression peut prendre plusieurs formes allant du chantage affectif au pur harcèlement moral en passant par le recours aux supérieurs hiérarchiques.
Mais finalement, le moyen employé pour mettre cette pression n’a que peu d’importance, car bien souvent, afin d’y échapper et ainsi retrouver immédiatement sa zone de confort, la personne sollicitée accepte finalement la mission « proposée ».
Sauf qu’elle a alors fait un très mauvais calcul, car en pensant retrouver ainsi sa tranquillité et une relative sécurité, elle s’est au contraire ajouté une charge de travail qui l’obligera à faire des efforts inhabituels tout en se mettant en danger, le tout pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, elle a en général l’impression de s’être fait avoir malgré elle et elle ressent donc de la colère envers elle-même ainsi qu’envers le demandeur.
Si le scénario se répète très régulièrement, elle pourra même finalement être complètement démotivée par le fait qu’elle n’est jamais écoutée.
Dans le pire des cas, elle se cantonnera alors exclusivement au rôle de simple exécutant en abandonnant toute initiative et en perdant toute créativité.
Elle aura donc alors perdu toute valeur ajoutée aux yeux de son employeur.
Comme zone de confort, il y a mieux.
Ensuite, elle a accepté de faire le travail en sachant pertinemment qu’elle ne parviendra pas à le faire correctement ou bien que cela aura des conséquences plus ou moins importantes dans le futur.
Or, en tant qu’exécutante, elle en sera tenue pour première responsable et dans le pire des cas, elle pourra donc être accusée de faute professionnelle.
Et s’il n’y a pas au moins une trace écrite de la demande et des raisons du refus originel, cela peut aller très loin.
De plus, le fait de savoir que ce qu’elle va devoir réaliser va être une source de problème peut générer un stress important qui peut avoir des répercussions psychologiques importantes à moyen terme si le scénario se répète régulièrement.
Encore une fois, il y a beaucoup mieux comme zone de confort.
De plus, ce genre de demande est bien évidemment souvent très urgente et grâce à la Loi de Murphy, elle est en général toujours effectuée lorsque la charge de travail est déjà très importante.
Afin de tenir les sacro-saints délais de livraison, la personne sollicitée sera donc obligée de « trouver du temps » afin de réaliser le travail demandé.
Et comme elle n’aura pas la possibilité de le trouver dans sa vie professionnelle puisqu’elle est déjà très occupée, elle sera bien obligée de prendre ce temps sur sa vie privée.
Elle arrivera donc à son travail plus tôt ou en partira plus tard et elle fera ainsi des heures supplémentaires évidemment non rémunérées afin de pouvoir livrer en temps et en heure ce qui lui a été demandé.
Elle accumulera alors de la fatigue intellectuelle et physique tout en se coupant de sa famille et de ses amis sans aucune contrepartie de la part de l'employeur, ce qui n’est jamais bon et peut mener à la dépression dans les cas les plus graves.
La fatigue induite fera également que la personne sera forcément moins efficace et donc fera potentiellement des erreurs qui pourront avoir de graves répercussions dans le futur.
Décidément, comme zone de confort, il y a vraiment mieux, d'autant que la personne qui cède à la pression perd systématiquement un peu de sa crédibilité professionnelle.
En effet, grâce aux efforts qu’elle fera, elle parviendra effectivement dans le meilleur des cas à répondre correctement à la demande en limitant au maximum possible les conséquences négatives possibles alors qu’elle avait indiqué dans un premier temps ne pas pouvoir le faire.
Elle passe donc alors aux yeux du demandeur pour une menteuse ou une fainéante et il n’aura donc aucun scrupule à lui remettre une nouvelle fois la pression lorsque cela sera nécessaire.
Pire encore, il aura à sa disposition un moyen de pression supplémentaire puisqu’il pourra lui dire qu’elle est déjà parvenue par le passé à répondre correctement à ses demandes alors qu’elle les avait jugés irréalisables dans un premier temps.
Enfin, pour la même raison, la personne sollicitée n’aura même pas droit à un simple remerciement malgré les efforts qu’elle aura fournis pour répondre à la demande.
Franchement, être perçu comme un menteur éventuellement doublé d’un fainéant et ne pas être remercié pour un travail ayant demandé des efforts hors normes n’est pas à mes yeux ce qu’il y a de plus agréable.
Et cette liste de raisons expliquant pourquoi céder à la pression pour retrouver le plus rapidement possible sa zone de confort n’est pas un bon calcul est loin d’être exhaustive.
La prochaine fois que quelqu’un insistera pour que vous fassiez une tâche alors que vous avez de très bons arguments pour refuser, je vous encourage donc fortement à le faire et à ne surtout pas céder à la pression.
Si vous êtes de bonne foi et que vos arguments pour ne pas accepter de répondre favorablement à la demande sont valables et consignés par écrit afin d’en garder une trace légalement recevable, rien ne peut vous être reproché.
Il n’y a donc aucune raison pour que la pression éventuelle résultant de votre refus vous affecte.
Alors que si vous finissez par accepter, nous venons de voir que vous y perdrez forcément en terme de confort physique et psychologique.
De plus, vous prenez dans ce cas le risque que l’on vous reproche par la suite les problèmes éventuels induits par votre travail.
Ce risque est d'autant plus grand que la façon dont on vous a imposé sa réalisation ainsi que les efforts supplémentaire que vous aller devoir fournir pour y parvenir font que vous ne serez certainement pas dans les meilleurs conditions possibles pour produire un livrable correct.
Alors, ayez la force de dire « non » et de vous y tenir, du moins tant que vous jugerez que vous ne pouvez pas répondre à la demande favorablement sans prendre de risque inutile et sans mettre en péril votre zone de confort mentale et physique !
Vous poserez alors des limites qui vous permettront paradoxalement de travailler dans de bonnes conditions.
9 réactions
1 De Aggelos - 07/06/2013, 10:07
Dans l'idée je suis à 100% avec toi. Malgré tout cela dit, constitue une faute grave (et malheureusement la jurisprudence va dans ce sens) le fait de refuser une tâche prévue dans le contrat de travail.
C'est un motif légitime pour un licenciement. Et sans passage par la case départ.
Ne pouvant résoudre ce dilemme et ayant toujours travaillé sous des personnes pour qui au mieux mon licenciement, tout compétent que je sois, ne serait pas grave (voire un avantage), je ne sais que penser
2 De mageekguy - 07/06/2013, 10:15
@Aggelos : Un supérieur peut effectivement t'imposer la réalisation d'une tâche que tu juges dangereuses et te licencier si tu refuses de l'effectuer.
Cependant, tu peux aussi lui demander par écrit la trace de cet ordre en faisant attention au fait que cette dernière mentionne explicitement les raisons de ton refus initial afin d'être couvert en cas de problème.
Mieux, tu peux même lui envoyer un courrier électronique (qui a valeur légale) l'informant que tu as compris que la réalisation de cette tâche était une obligation malgré le fait qu'elle peut avoir des conséquences importantes, conséquences que tu prendras soins de décrire à nouveau dans la suite de ton courrier.
Et tu termines en précisant que tu te mettras au travail dès qu'il t'aura confirmé que tu dois tout de même effectuer la tâche en question malgré les conséquences possibles sus-mentionnées en répondant à ton courrier explicitement.
En général, ça fait évoluer les choses dans le bon sens.
Tout le monde peut mettre la pression, il faut juste avoir le courage de le faire.
3 De NiKo - 07/06/2013, 10:28
Aggelos> il y a deux choses différentes : l'exécution de la tâche, et les conditions d'exécution de la tâche.
Aucun contrat de travail en droit Français ne peut demander l'impossible à celui qui le signe, ni ne prévoit de clauses de harcèlement moral. Une des premières obligations de l'employeur est de fournir à l'employé les moyens d'effectuer ses tâches dans des conditions le permettant. L'arbitrage en cas de litige est délicat, mais j'ai plutôt l'impression que ça va dans le sens du salarié, généralement.
Enfin, j'adhère personnellement beaucoup à la vision agile d'un rythme de travail maintenable et soutenable indéfiniment, chose impossible si l'on cède effectivement aux coups de pression — l'idéal étant bien entendu de mettre en place un cadre méthodologique prévenant leur apparition :)
4 De Aggelos - 07/06/2013, 10:55
Ah bah je vois qu'il y a du beau monde ici.
Je résume ce que je disais sur Twitter : si on en est au point de devoir justifier la validité du refus, en général c'est que l'on en est déjà aux prud'hommes, ou bien que toute relation de confiance avec l'entreprise est rompue. En tout état de cause le job est perdu.
J'entends qu'il vaut parfois mieux partir ou être licencié que rester dans ces conditions (et je l'entends d'autant mieux qu'il se pourrait que ce soit ce genre de situation qui aie fini par causer mes douleurs chroniques), mais on n'a pas toujours cette liberté. Et un licenciement pour faute grave, quand le premier interlocuteur que l'on a en face est une RH qui ne sait pas apprécier la qualité de ton profil, c'est limite éliminatoire.
La grande question ensuite est "qui juge de la recevabilité de l'argument", ou "qui juge de l'impossibilité des conditions". J'ai vaguement l'impression par l'expérience que ceux qui disent non sont déjà des développeurs expérimentés qui voient l'impossibilité de la chose là ou personne ne la voit. En prenant un raccourci, ils sont meilleurs que la moyenne.
Il faut espérer que la personne qui juge de la recevabilité aura la compétence pour le faire. Bref, que cette personne sera aussi, sinon plus compétente que soi. Ou au moins plus compétente que le manager
Anecdote par exemple : alors que je passais sous un nouveau manager (qui n'avait légalement pas le droit de l'être mais c'est une autre histoire), il a voulu marquer son territoire en me forcant a faire quelque chose. Pas de chance, c'était impossible (100% des messages transmis via UDP doivent être recus). J'ai essayé de dire non, on ne m'a pas écouté. J'ai essayé d'escalader, on m'a dit "tu écoutes les ordres de ton manager". Alors j'ai dit oui, et j'ai tout marqué noir sur blanc.
Et bien sur ça a échoué.
Mais on me l'a fait payer pendant trois ans.
La personne qui dit non, c'est également celle que l'on va "mettre au placard". Après tout, il y a tellement de personnes qui sont prêtes à dire oui. Dans l'immédiat, elles démontrent qu'elles délivrent et que finalement c'était pas si difficile. Jusqu'au jour ou la prédiction de non faisabilité tombe, et alors on fera confiance non pas à celui qui a prévenu, mais celle qui a délivré.
Sur le harcèlement moral : j'ai essayé d'explorer cette voie pour gérer une situation difficile. En pratique c'est pratiquement infaisable, parce que le harcèlement est caractérisé par une relation 1 à 1, et généralement il se fait dans l'isolement et le secret. S'il y a plusieurs personnes, ce n'est plus du harcèlement, c'est un mauvais manager, pas un harceleur. Et la loi ne punit pas les mauvais managers. Et souvent, quelqu'un devient manager parce qu'un manager plus haut l'a promu et ne voudra pas qu'un mette en doute son choix.
Sur l'agile : une entreprise ou une équipe qui a bien compris l'agile a compris aussi la notion de confiance dans la capacité d'appréciation technique des développeurs. L'approche est saine de bout en bout.
Mais si l'entreprise n'a pas compris ça, alors en pratique l'application de l'agile devient un autre moyen de pression ("par ta faute on n'a pas atteint notre objectif de 77% sur l'itération" - et non, je ne déconne pas, je connais des endroits ou ça se fait comme ça)(ou alors les "enchères inversées" au post it, qui font que les béni-oui-oui ont toujours le dernier mot)
Au final, il faut pouvoir être dans une position ou sa propre parole a du poids en dépit de tout, ou bien dans une position ou quitter son job pour en trouver un autre demain n'est pas un problème.
Et ce n'est pas une richesse dont, même dans l'IT, tout le monde dispose.
5 De Aggelos - 07/06/2013, 12:00
Ah et petite précision sur l'anecdote : je l'ai payé pendant trois ans non pas parce que j'ai dit oui et que ça ne marchait pas, mais parce que j'ai prouvé que j'avais raison et que mon manager avait tort.
6 De NiKo - 07/06/2013, 18:52
Aggelos,
> En tout état de cause le job est perdu.
Des fois, c'est une putain de feature, voire une condition de survie psychique personnelle — c'est pas rien.
> un licenciement pour faute grave, quand le premier interlocuteur que l'on a en face est une RH qui ne sait pas apprécier la qualité de ton profil, c'est limite éliminatoire
Faut savoir se barrer avant… le "savoir" est important, car bien souvent, on ignore qu'on peut, parce qu'on est conditionné pour le croire par la pression exercée, c'est bien là justement toute la difficulté. Rares sont les cas qui impliquent explicitement de "devoir rester à tout prix", surtout avec un profil d'ingénieur informaticien… (parce que quand même bon, c'est pas la métallurgie non plus).
> En prenant un raccourci, ils sont meilleurs que la moyenne.
Rome ne s'est pas faite en un jour, c'est vrai, particulièrement quand le sujet est tabou sociétal, peu pris en considération et mal documenté. D'où l'importance d'un billet comme celui-ci, si tu veux mon avis.
> Et la loi ne punit pas les mauvais managers. Et souvent, quelqu'un devient manager parce qu'un manager plus haut l'a promu et ne voudra pas qu'on mette en doute son choix.
C'est vrai, d'où l'importance de la fuite http://www.dailymotion.com/video/xw... :)
> Mais si l'entreprise n'a pas compris ça, alors en pratique l'application de l'agile devient un autre moyen de pression ("par ta faute on n'a pas atteint notre objectif de 77% sur l'itération"
Si l'entreprise n'a pas compris ça, c'est qu'elle n'est pas agile, retour à la case départ
> Au final, il faut pouvoir être dans une position ou sa propre parole a du poids en dépit de tout, ou bien dans une position ou quitter son job pour en trouver un autre demain n'est pas un problème.
Il faut surtout être conscient du problème et être bien entouré. S'entourer de gens qui ont de l'expérience, s'entourer d'amour, obtenir du soutien et des conseils avisés aide à prendre du recul. Se sentir responsable et acteur de son propre sort, sortir à tout prix du statut ressenti de "victime". Je te rejoins sur un point, c'est très difficile et ça n'est malheureusement pas le cas de tout le monde.
D'où l'importance de communiquer sur ces problèmes, plutôt que d'invoquer la fatalité (ce qui ne résoud rien, jamais). Et ne jamais, jamais, légitimer de telles situations et les processus sous-jacents.
7 De Nico - 17/06/2013, 23:43
Le gros problème de savoir dire non est surtout une question de confiance en soi et de respect de soi, le tout en état d'honnêteté intellectuelle. Allez réunir toutes ces conditions, autant de votre côté (avoir une totale confiance en soi quand on nous demande qqch qu'on n'a jamais fait ^^), que de celui du demandeur (— ça ? Mais ça doit vous prendre 2 jours ! — Et t'es qui pour me dire ça ?).
Le gros problème en fait, ce sont les décisions politiques, qui sont basées sur de l'irrationnel pour les exécutants (pourquoi il a devisé 1 jour pour ce taf, j'ai dit que ça m'en prendrait 2 ? => c'est politique, donc pour une raison qu'on ignore en tant qu'exécutant).
C'est là qu'il faut une bonne communication entre le CP et son équipe, bien faire comprendre une décision qui peut paraître irrationnelle à l'équipe prévient énormément de frustrations.
8 De Joris - 19/06/2013, 19:51
Pour avoir vécu une expérience similaire dans une jeune start-up américaine, c'est en effet une situation qui génère beaucoup de stress et de tension dans la relation de confiance entre employeur <> employé.
Lorsque j'ai commencé à travailler pour ma précédente boîte, j'étais écouté, consulté et mes avis étaient hautement considérés pour les choix techniques et organisationnels.
Suite à un changement d'activité soudaine (causée par une sacrée mauvaise gestion financière) et des choix techniques imposés par les dirigeants, des contestations ont commencé à voir le jour et progressivement, une hiérarchisation s'est révélée.
Les conséquences ont été les suivantes : perte de confiance sur l'avis de l'équipe technique (nous n'avons plus notre mot à dire et étions devenus de simples exécutants) et surtout repliement de la communication au sein de l'entreprise, ce qui a tout doucement amené une fragmentation de l'équipe (et même physique—disparition de locaux).
Quand j'ai vu arriver la chose, j'aurais voulu avoir la possibilité de quitter mon poste mais un contrat de stage international rend les choses très compliquées... Sur la fin de mon stage, j'ai tout de même démissionné quand j'ai su que mon stage était sauvé.
Belle expérience formatrice : savoir dire non est très difficile et dégrade les relations et particulièrement le respect de ceux qui subissent ces pressions hiérarchiques. L'aspect à prendre en compte : la capacité à s'exprimer, quand on est le seul de l'équipe à faire face aux dirigeants (délégué / lead dev), on s'exprime souvent pour l'équipe et cela peut aussi devenir dangereux si l'équipe n'ose même pas soutenir sa propre opinion...
9 De mageekguy - 19/06/2013, 22:35
@Joris : D'ou l'intérêt de créer une vrai relation de confiance au sein de l'équipe et de ne pas hésiter à la mettre, soit en tant que meneur, soit en tant que membre, devant ses responsabilités le plus tôt possible afin d'éviter que l'un de ses membres se retrouvent seul dans son short à fleur lorsqu'il est séparé du reste de la meute (et l'image n'est pas si mauvaise que cela) pour une raison ou une autre.
Éric Lemoine a d'ailleurs fort bien évoqué l'intérêt de cet esprit d'équipe ainsi que plusieurs pistes pour parvenir à le mettre en place dans son dernier billet.
Cependant, ce n'est pas forcément une tâche aisée d'y parvenir, notamment lorsque le contexte est déjà fortement dégradé.
Et merci de ton témoignage, car j'attendais justement l'avis d'un expatrié sur ce point.