Cette tirade a une saveur toute particulière pour moi aujourd'hui, suite à l'annonce du départ de Scott Forstall de Apple dans l'année qui vient, et sa mise au placard en tant que conseiller spécial auprès de Tim Cook dans l'intervalle.
Pourquoi ?
Parce qu'elle est l'œuvre de Apple et qu'elle a servie de fil conducteur à toute sa campagne Think different
qui lui a permis de renouer avec le succès et de devenir la société qu'elle est aujourd'hui.
À l'époque, je n'avais pas pu m'empêcher d'y voir, outre une campagne marketing de génie dans tous les sens du terme, un message extrêmement élégant et intelligent de Steve Jobs à destination du conseil d'administration de Apple, une espèce de réponse du berger à la bergère, un bras d'honneur tout à la fois subtil et percutant, bref, une réponse digne de la philosophie bouddhiste et zen qui lui était si chère et qui dirigeait sa vie au camouflet qui lui avait été infligé quelques années auparavant.
En effet, c'est le conseil d'administration qui l'avait débarqué de Apple (société qu'il avait contribué à créer…) en 1985 avec l'appui de John Sculley, car il était le trublion qui voulait tracer SA voie contre vents et marées, et il était absolument prêt à tout pour cela, même si SA voie semblait complètement aberrante à la majorité.
C'est cette mentalité qui a fait de Pixar ce qu'elle est aujourd'hui alors que cette société ne valait pas un pet de lapin lorsqu'il l'a racheté, c'est cette mentalité qui a fait que les technologies de Next avait au bas mots une dizaine d'années d'avance sur tout ce qui existait à l'époque, et surtout, c'est cette mentalité qui a fait d'Apple ce qu'elle a été de 1976 à 1984 et de 1997 à sa mort l'année dernière.
Oui, Steve Jobs pouvait être simultanément un enfoiré, un voleur, un opportuniste, une grande gueule, un vantard, j'en passe et des meilleurs, mais ces traits de caractère n'étaient que l'expression de sa folie, folie qui faisait de lui quelqu'un d'exceptionnel car capable de compiler, interpréter, digérer une somme d'informations comptables, financières, techniques tout à la fois tangible et fantasmatique pour en faire un produit remarquable à tout point de vue, tout en étant capable de tout remettre en question sans aucune explication à n'importe quel moment sans se soucier du retour de bâton éventuel, à partir du moment ou il pensait qu'il avait raison.
Et depuis sa mort, il n'y avait plus chez Apple qu'une seule personne atteinte du même mal
, et c'était Scott Forstall, présenté à juste titre comme un clone de Steve Jobs.
Car tout comme ce dernier, cet homme est fou, dans le sens ou il se bat pour ses idées sans tenir aucun compte des autres et des conséquences de ses actes, que ce soit envers lui ou envers les autres.
Pour ses idées, il est même allé jusqu'à lutter contre Steve Jobs lui-même pour faire en sorte que iOS repose sur les bases MacOS X, c'est dire à quel point il est atteint…
Et aujourd'hui, cet homme ne fait plus parti de Apple en grande partie à cause de son grain de folie qui pourtant était l'essence même de la société ces dernières années et qui a été si bien illustré par la citation qui sert d'introduction à cet article.
Voici pourquoi Think different
a maintenant une saveur si particulière pour moi depuis aujourd'hui : l'esprit Apple façon Jobs a quitté Apple avec Scott Forstall.
Maintenant, est-ce un mal ?
Je n'en ai aucune idée, mais je pense que les fous révolutionnent le Monde et il n'y en a plus aujourd'hui chez Apple à ma connaissance.
Du coup, je ne peux m'empêcher de penser que Tim Cook fait exactement la même bourde que John Sculley et le conseil d'administration de Apple en 1985 en débarquant Scott Forstall pour s'assurer une certaine tranquillité alors que c'était justement le fait qu'il est ce qu'il est qui faisait que Apple était Apple.
6 réactions
1 De mikaelrandy - 30/10/2012, 12:01
Sur le fond, je partage ton analyse, mais il y a une grosse différence entre le débarquement de Jobs en 84 et le débarquement de Forstall aujourd'hui, c'est l'attente autour des produits Apple.
Il y a 30ans, les fans de la pomme croquée attendaient justement cet esprit différent, qui bousculait les choses. Il ne faut pas oublier qu'à l'époque, Unix était réservé à une monde élitiste d'experts.
Aujourd'hui, Apple est la première capitalisation boursière mondiale, qui est utilisé autant par les fans de la 1ère heure que par des mecs qui veulent être tendances.
Il n'y a qu'à voir le nombre d'iPhone utilisé dans le monde pour voir que le produit est vraiment démocratisé.
Du coup, une affaire comme celle de Plans n'est plus pardonnée par les utilisateurs comme ça pouvait l'être il n'y a que 10 ans en arrière, car la majorité des utilisateurs attendent "juste" de l'excellence, et ne permettent pas l'expérimentation, et le rôle de fou comme tu le présentes dérange.
C'est triste, c'est même inquiétant pour l'avenir d'Apple, mais il me semble que c'est la voie choisie depuis quelques temps, et même avant le départ de Jobs
2 De lanfisis - 30/10/2012, 12:35
Chouette article, comme d'hab.
3 De mageekguy - 30/10/2012, 13:07
@mikaelrandy : Je pense que la grogne des utilisateurs vis à vis de Plan n'a eu que très peu d'incidence dans la décision de virer Scott Forstall.
Apple n'a jamais eu aucun problème à faire complètement abstraction des problèmes rencontrés par les utilisateurs, tout simplement parce qu'elle a toujours pleinement assumé ses choix techniques, ergonomiques, marketing ou esthétiques, car Elle, via plus particulièrement l'un de ses pères fondateurs récemment décédé, est persuadée de détenir la Vérité pour le Bien de ses utilisateurs, quitte à faire preuve d'ignorance ou de la mauvaise foi la plus totale.
Il n'y a qu'à repenser à l'antenna gate, à l'absence de copié/collé dans iOS première version, à la suppression du Superdrive ou du lecteur de disquette, à l'utilisation de Thunderbold ou de firewire, à la non intégration de l'USB 3 jusqu'à il y a peu, aux rayures apparaissant sur l'iPhone 5, etc.
Les exemples sont légions et prouvent la relative indifférence de Apple vis à vis de ses utilisateurs, induite par le fait, et Sir Ive le répète à l'envie, qu'elle conçoit, fabrique et distribue le Meilleur Produit Possible à un instant T et qu'elle n'aurait pas pu faire mieux à ce moment (c'est d'ailleurs cet instant T qu'omette de prendre en compte les analystes et la concurrence), d'ou par exemple le tout nouveau nouvel iPad 3, les différentes itérations du Macbook air depuis sa version 2010, etc.
En conséquence, elle prend le pari et elle l'assume que la valeur ajoutée que ses produits apportent à ses clients contrebalance largement les désagréments que pourrait poser ses choix.
Et Plan n'échappe pas à la règle : c'était ce que pouvait faire de mieux Apple techniquement dans le délai imparti, et la copie sera corrigée par itération successive.
Et si Plan est sorti en l'état, c'est que pour des raisons stratégiques et non techniques, c'était le moment auquel il fallait qu'il sorte et que le jeu en valait la chandelle.
À ce titre, Apple est la société qui a su intégrer l'agilité dans un processus industrielle à un point que même Toyota n'a pas atteint et ne peut pas atteindre car Apple ne met pas à priori en jeu la vie de ses clients si elle se plante un peu trop.
Dans ce contexte, il est parfaitement logique que Scott Forstall ait refusé de signer une lette d'excuse, car de son point de vue, il a fait au mieux et n'avait donc aucune excuse à présenter.
Et à sa place, si j'avais été convaincu d'avoir fait mon maximum pour sortir le meilleur produit possible dans les délais qui m'ont été donné, j'aurais exactement fait la même chose.
Je pense que Tim Cook, indépendamment de ces qualités, n'a pas le grain de folie nécessaire pour accepter de jouer le jeu suivant cette règle, et le conseil d'administration et les actionnaires encore moins, au contraire de Scott Forstall, d'autant qu'ils doivent avoir le portefeuille qui les démange (à nous les dividendes !) et ne veulent pas prendre le risque d'essuyer les plâtres éventuels.
Or, la folie, c'est aussi et surtout prendre des risques.
Steve le pouvait et le faisait, Scott Forstall le voulait mais ne pouvait apparemment pas se le permettre, et Tim Cook en est à mon avis incapable, ou du moins pas dans la même proportion que les deux autres.
4 De Séb - 30/10/2012, 18:01
Apple est aujourd'hui l'entreprise #1 dans le monde, mais depuis que Jobs n'est plus, il y a comme cette atmosphère de début de fin de règne : couacs à répétition, produits sans réelle innovation, etc.
Il est probable (enfin c'est mon avis) que les prochaines grandes révolutions informatiques ne seront (pour une fois) pas made in Apple.
Belle citation au passage.
5 De Benjamin - 30/10/2012, 19:44
J'aime bien ton analyse, mais je vois les changements d'hier sous un angle un peu différent : pour moi, c'est l'exemple complet d'une rationalisation d'Apple autour d'une équipe plus petite mais plus apte à collaborer. En effet :
- 1 seul directeur au développement soft
- 1 seul directeur au développement hard
- 1 directeur du design qui gère à la fois le design hard et soft (histoire de garder la cohérence de l'ensemble, qui reste la marque de fabrique d'Apple)
- 1 seul directeur pour l'ensemble des services.
- Eddie Cue en plombier urgentiste (il doit en avoir marre à force)
ça me fait penser à une stratégie très simple :
- 1seul OS (quand on voit mountain Lion, on s'y attend un peu) qui permet d'avoir des frameworks communs pour tout sauf l'UI, voire des apps universelles qui permettront de faciliter les transfuges iOS / Mac OS
- 1 seule identité visuelle qui va permettre de marier au mieux l'interface logicielle et l'interface physique
- 1 seule plateforme de services cloud, pour combler le gap énorme de maturité et de stabilité des plateformes de services par rapport aux stores.
Si en plus on tend une oreille vers les rumeurs qui parlent de macs ARM, cette stratégie de simplification prend tout son sens : on arriverait à une seule plateforme matérielle, une seule plateforme logicielle et une seule plateforme de services.
Sachant que Cook vient du domaine de la logistique, c'est probablement un adepte de la rationalisation (oui, les logisticiens aiment bien rationaliser à tout va. C'est pour ça qu'une tournée d'UPS est optimisée pour ne prendre si possible que des virages à droite).
Pour Forstall, je me demande du coup s'il n'a pas sauté à cause de cette réorganisation (et non l'inverse), parce qu'il est tout ce qui énervait chez Jobs, mais sans avoir son charisme et (surtout) son champ de distorsion de la réalité...
6 De mageekguy - 31/10/2012, 08:45
@Benjamin : La rationalisation est aux antipodes de la folie et c'est bien le problème.
Une bonne équipe est composée de membres qui ont chacun une approche des choses différentes, mais une vision commune du produit finale.
Une excellente équipe capable de faire des produits originaux et remarquables contient en plus des gens qui ne pensent pas comme tout le monde, qui perturbent le flot normal de la réflexion, qui remettent en cause, qui cherchent d'autres voies, qui explorent, qui remettent en cause les décisions, qui râlent lorsque les choses ne vont pas dans leur sens, en bref, des fous.
L'équipe de Tim Cook rentre à peine dans la première catégorie de mon point de vue car elle est trop formatée, trop policée, trop propre sur elle.
Mais en contrepartie, elle est facile à gérer, car il n'y a pas de trublions comme Scott Forstall qui viennent semer la zizanie en faisant bousculer les idées reçues et taper dans la fourmilière.
Car si Steve Jobs avait aussi cette capacité à gérer le cinglé, étant cinglé lui-même, je pense que Tim Cook ne l'a pas du tout, et pour cause, comme tu le dis toi-même, c'est un logisticien.
On a connu plus fun et barré…